#79 La place des Femmes dans la Tech (Part2): IA et Diversité

Podcast Femmes Tech : Elisabeth Moreno, Philippe Dewost, Ludovic Baumgartner

Deuxième partie de cet épisode spécial de 2Goodmedia sur la place des Femmes dans la Tech avec Elisabeth Moreno et Philippe Dewost en co-branding avec Ludovic Baumgartner, coach en neurosciences. Aujourd’hui on va parler Intelligence Artificielle et Diversité. La Tech en France compte moins de 15% de Femmes et cette part est même en diminution, alors que les perspectives de carrières et les enjeux pour l’industrie sont énormes.

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15 Décembre 2023 | Paris – We are

De Delphine Souquet

Bienvenu(e)s sur 2Goodmedia, le média de Podcasts qui couvre les grands évènements des industries créatives. Aujourd’hui, nous avons rendez vous dans le studio Broadcast de Weare, le club des industries créatives à Paris. Un épisode qui met à l’honneur deux invités très bien placés pour parler d’IA et de Diversité avec une hauteur de vue sur le sujet : Elisabeth Moreno, aujourd’hui présidente de Femmes@Numérique et Philippe Dewost, co-fondateur de Wanadoo, un des artisans de la French Tech qui incarne le mieux l’innovation numérique en France. Il est l’auteur d’un ouvrage de référence De mémoire vive qui retrace son parcours et raconte 30 ans d’innovation dans le numérique.

Les 4 thèmes abordés dans ce podcast

Ludovic Baumgartner [00:01:27] Ce que je voudrais en fait, c’est structurer l’émission en quatre parties:

  1. La première, c’est aborder la notion d’égalité et de mixité hommes femmes. Globalement, sans avoir un focus particulier sur la tech. Cette mixité hommes femmes dans les entreprises, dans la société en général, qu’est ce que vous en pensez?
  2. Et ensuite quelle est la représentation des femmes dans la tech? Quand on a démarré le podcast, je pensais qu’on avait ce chiffre de 15 % et qu’il était stable. Et vous m’avez tous les deux sauté dessus en me disant. Non, il est en train de baisser! et j’aimerais que vous vous m’expliquiez ce qu’il en est.
  3. Et troisième partie, c’est l’impact que ça va avoir sur l’industrie en termes d’emplois, notamment avec l’IA?
  4. La quatrième partie en fait des problématiques abordées, je pense que c’est le fond du sujet, c’est l’éducation. L’Éducation au sein des familles. L’Éducation au sein des écoles, puisque c’est ce qui va poser les croyances qu’on a par ailleurs.

Toi Elisabeth, avec tes fonctions de ministre, qu’est ce que tu as pu observer? Qu’est ce qui t’a rassurée et qu’est ce qui t’a inquiétée?

1.La question de la Diversité : où en est-on en France?

j’ai été extrêmement surprise, au moment de Metoo, de voir des femmes en Suède dénoncer le sexisme et la misogynie dont elles étaient victimes

Elisabeth Moreno, ex Ministre à l’égalité Femmes Hommes

Elisabeth Moreno[00:04:16] Ce qui m’a rassurée, c’est qu’on n’a jamais autant parlé de l’égalité entre les femmes et les hommes que ces dix dernières années. Je dirais peut être même depuis Metoo. Et quand on s’est rendu compte que dans le monde entier, y compris d’ailleurs dans des pays de l’Europe du Nord qui sont souvent cités comme des modèles…

on est dans un pays où, tous les trois jours, une femme meurt sous les coups de son conjoint et de son ex-conjoint

Moi, j’ai été extrêmement surprise, au moment de Metoo, de voir des femmes en Suède dénoncer le sexisme et la misogynie dont elles étaient victimes. Et donc, on s’est rendu compte tout d’un coup que partout dans le monde, les femmes subissent exactement les mêmes discriminations. Du moment où tu nais jusqu’au moment où tu meurs, tu n’es pas traitée de la même manière qu’un homme. Une fille n’est pas traitée de la même manière qu’un garçon. Alors, bien sûr, on n’est pas en Afghanistan où on empêche une fille d’avoir accès à l’éducation parce qu’elle est fille. Bien sûr, on n’est pas dans des pays où on peut tuer une femme parce que soi disant, son voile serait mal porté. On n’est pas dans un pays où l’excision fait partie de notre culture et de nos traditions, mais on est dans un pays où, tous les trois jours, une femme meurt sous les coups de son conjoint et de son ex-conjoint.

Ludovic [00:05:39] Tous les trois jours…

Elisabeth [00:05:40] Tous les trois jours. Dans notre pays, une femme meurt sous les coups de son conjoint ou de son ex-conjoint. Et très souvent, elle meurt au moment où elle dit à cette personne Je ne veux plus vivre avec toi, je vais partir. La plupart des féminicides ont lieu à ce moment là. On a de la chance de vivre en France parce qu’on est dans un État de droit. Parce que Emmanuel Macron a eu la bonne idée de décider que l’égalité femmes hommes serait la grande cause de ses deux quinquennats. Il y a cinq lois qui ont été votées depuis pour protéger les femmes contre les violences. Pour protéger les enfants contre les violences. Parce qu’il faut savoir qu’un enfant qui est témoin de violences conjugales plus tard, c’est prouvé scientifiquement. Plus tard, il devient victime lui même ou il devient agresseur. Donc il y a des dommages collatéraux colossaux. Il y a aussi les hommes qui subissent des violences conjugales, mais c’est moins de 15 %. Donc c’est une grande majorité de femmes, c’est pas moins grave. Mais pour autant les violences, la proportion est colossale et les violences sont souvent le fait des hommes.

j’ai rencontré beaucoup de femmes qui me disaient Madame la ministre, j’apprécie ce que vous faites, mais moi, je vous préviens, je ne suis pas féministe

J’ai conscience que notre situation à nous les femmes aujourd’hui, est meilleure que celle de nos mères. Elle est meilleure que celle de nos grands mères. Il y a beaucoup de femmes qui sont nées à une époque où elles ne pouvaient pas ouvrir elles mêmes leur compte en banque, où elles ne pouvaient pas travailler sans l’autorisation de leur père ou de leur mari. C’est dans notre pays et ça, ce sont des réalités que beaucoup de gens rejettent. Femmes et hommes.

être féministe, c’est souhaiter que concrètement, et pratiquement les femmes et les mêmes droits que les hommes, c’est ni plus ni moins …

Et j’ai rencontré beaucoup de femmes qui me disaient Madame la ministre, j’apprécie ce que vous faites, mais moi, je vous préviens, je ne suis pas féministe. Et quand je leur demande ce que c’est qu’être féministe, elles me disaient ces chiennes de garde qui sont jamais contentes, qui sont contre les hommes, ce n’est pas du tout ça. Etre féministe, être féministe, c’est souhaiter que concrètement, et pratiquement les femmes et les mêmes droits que les hommes, c’est ni plus ni moins que les jeunes filles puissent étudier, aller dans des secteurs dits masculins et que les garçons puissent aussi aller dans les secteurs dit féminins. Ce qui est important, c’est ce qu’on aime faire. [38.5s]

Ludovic [00:08:06] Ce qui est fascinant. Ça paraît évident.

Elisabeth [00:08:10] Oui, mais ce n’est pas encore le cas. L’année dernière, j’ai rencontré une électromécanicien qui m’a dit que quand elle avait dit à son professeur qu’elle voulait devenir électromécanicien, il lui a répondu Ce n’est pas un métier de fille. Donc c’était l’année dernière, Ce n’était pas il y a dix ans.

Ludovic [00:08:27] Ça me fait penser. Je me souviens, mais j’avais prévenu tous mes amis que je jetterais physiquement les cadeaux qu’ils feraient à mes enfants si jamais ils offraient des tables a repasser à ma fille et des mechanos à mon fils.

Elisabeth [00:08:41] Et tu as raison, ça commence par ça, Ludovic. Avec Agnès, on avait travaillé avec les sociétés de jouets pour qu’on n’offre pas à nos enfants des jouets genrés. Et j’avais été très intéressé par le directeur général de l’une des sociétés qui m’avait dit : Mais vous savez, madame, nous, on est volontaires et d’ailleurs on est en train de dégenrer les jouets. Mais quand vous avez une mamie, un papy ou un père ou une mère qui vient et qui nous dit je veux un jouet pour ma fille et que vous allez proposer une poussette à un garçon, il va vous regarder avec des gros yeux.

mon propos, c’est juste de prendre conscience de tous les biais dont nous sommes porteurs parce que tout le monde a ses propres biais et ses propres préjugés

Et j’ai cette anecdote en tête un petit garçon qui baladait une poussette avec un poupon à l’intérieur et une dame qui qui le rencontre et qui lui dit Mais c’est étrange que tu joues avec une poussette. Normalement, ce sont les mamans qui le font et le petit garçon lui répond Ben non madame, je joue au papa… et je trouve ça génial.

Je trouve ça génial parce qu’en fait, on est tellement stéréotypés, on est tellement biaisés, on a tellement de préjugés qui sont liés à notre éducation. Et encore une fois, moi, je ne suis pas pour blâmer, pour critiquer, pour jeter la pierre. C’est pas ça du tout mon propos, mon propos, c’est juste de prendre conscience de tous les biais dont nous sommes porteurs parce que tout le monde a ses propres biais et ses propres préjugés. Et la meilleure manière d’avancer sur ces sujets, c’est d’en avoir déjà conscience.

Encore une fois, on a la chance de vivre dans un pays où les femmes peuvent faire les mêmes études que les hommes. Elles peuvent faire les métiers qu’elles souhaitent. Elles devraient normalement gagner le salaire qui va avec. Mais ce n’est pas encore tout à fait une réalité.

Quelques chiffres sur les inégalités Femmes Hommes

on est en 2023, on n’a que trois femmes qui dirigent un grand groupe du CAC 40

Elisabeth Moreno

Je parlais des lois qui ont été votées pour protéger les femmes des violences. Mais toutes les femmes, heureusement, ne sont pas des victimes. Les femmes constituent 46 % de la population active. Les femmes étudient, ont les mêmes diplômes que les hommes, voire même parfois de meilleurs diplômes. Pour autant, on est en 2023, on n’a que trois femmes qui dirigent un grand groupe du CAC 40. Elles sont à peine seize pour le SBF 120. Il y en a qu’une seule, une seule qui est PDG, une seule. On est en 2023. Pourquoi? Pourquoi est ce que les femmes n’ont pas accès aux mêmes métiers, aux mêmes responsabilités? Même dans les métiers où il y a une majorité de femmes, même dans les secteurs d’activité où il y a une majorité de femmes? Je pense aux médecins, je pense à l’éducation, je pense tous ces tous ces métiers du care, comme on l’appelle.

Quand tu arrives aux postes à responsabilités, tu trouves une majorité d’hommes. Pourquoi?

Et qu’on ne me dise pas que c’est parce que les femmes n’ont pas d’ambition. Qu’on ne me dise pas que c’est parce qu’elles n’osent pas qu’elles ne veulent pas. C’est parce qu’il y a un système qui fait qu’on pense que le leadership est fatalement masculin. D’ailleurs, un candidat aux élections présidentielles a dit que les femmes étaient des gibiers et il n’y a pas longtemps. Là encore, ce n’était pas il y a 100 ans. C’était il y a quelques années.

Et que quand les femmes arrivaient aux postes à responsabilités, elles les dénaturaient et les tiraient vers le bas. Alors, pardon, mais quand on voit l’état de notre planète, l’état du monde, l’état de nos entreprises, l’état de notre société, je me demande qui tire notre humanité vers le bas.

Ludovic [00:12:04] Il y a quelques questions à se poser. Mais j’ai le sentiment que les femmes protègent la vie et les hommes s’en servent. Et quand on regarde l’histoire de l’humanité, moi il y a quand même pas mal pas mal d’exemples qui donnent. Philippe, toi de ton côté? Dans le parcours que tu as pu avoir avec pas mal d’entreprises.

Philippe [00:12:31] C’est une question à laquelle je vais répondre, peut être de manière plus personnelle, à travers le parcours qui a été le miens. La première observation, mais qui remonte à loin, loin, loin dans mon enfance, c’est que, étant issu d’une famille plutôt bourgeoise, plutôt conservatrice, j’ai quand même eu la surprise de m’apercevoir que mon grand père maternel avait intimé à chacune de ses cinq filles de faire des études pour qu’elles puissent se débrouiller dans la vie par la suite, quel que soit ce qui leur arriverait. Certaines sont devenues mères de famille et ont arrêté de travailler. C’est un choix qu’elles ont fait. On pourrait revenir sur les biais de société de l’époque, mais pour moi, ce n’est pas le sujet. Mais ça, c’est un point de départ qui, d’une certaine manière, nous ramène à l’éducation comme point de départ de l’émancipation et de la capacité à acquérir son autonomie.

Moi je perçois et je ressens aussi la question en tant que mari et en tant que père de deux filles. Mon épouse travaille elle est médecin. Elle travaille d’ailleurs dans le domaine de l’adictologie et les mécanismes de violence que vous avez évoqués sont des mécanismes extrêmement extrêmement profonds. Et je pense que si on réfléchit à cette question là, on ne peut pas la séparer de la question, je dirais presque anthropologique, de la violence au sens de René Girard. Je mets même de côté la force physique, ce n’est pas le sujet. Il n’empêche que ces structures de violence, lorsqu’elles ont lieu devant des enfants, les marquent. Et c’est ce que vous disiez tout à l’heure.

j’ai évolué dans des start up qui sont des environnements qui jusqu’ici étaient encore extrêmement extrêmement masculins

Philippe Dewost

Dans mon parcours, j’ai été évidemment dans des environnements qui étaient très masculins parce que les environnements d’ingénieurs tels que ceux qu’on a connus chez France Télécom étaient très masculins. J’avais déjà un certain nombre de camarades qui intègrent les télécoms, mais elles étaient une minorité. Certaines ont fait des parcours extraordinaires. Je ne vais pas citer de noms, mais enfin, vous en avez quelques unes qui sont en situation de très grande responsabilité chez Orange aujourd’hui. Marie-Noëlle, Si tu nous entends un petit clin d’oeil.

Philippe [00:14:51] Et j’ai par la suite évolué dans des start up qui sont des environnements qui jusqu’ici étaient encore extrêmement extrêmement masculins.

Avec ensuite une surprise qui est que lorsque j’ai rejoint la puissance publique à la Caisse des dépôts, je me suis retrouvé dans la situation exactement inverse en étant le seul homme en position de direction dans un environnement qui était excessivement féminin. Et c’est là que j’ai compris l’enjeu qui est pour moi l’enjeu fondamental qui est celui de la mixité puisque dans les deux cas, lorsque vous constituez des groupes sociaux ou des groupes professionnels qui sont en charge d’un objectif ou d’un projet, si vous vous privez de la moitié de la moitié de l’humanité dans ses composantes, s’il y a des biais de comportements qui sont de nature très différente… Je ne me suis jamais senti en minorité. Je ne me suis jamais senti en risque. En revanche, j’ai observé des modes de discussion, d’échanges et de prise de décision qui étaient radicalement différents, substantiellement différents de tout ce que j’avais pu observer.

Et pour terminer aujourd’hui sur le monde de l’éducation, il serait intéressant. Je n’ai absolument pas les chiffres en tête, mais de regarder quel est le taux de mixité de la population qui, à mon sens, est déterminante dans l’éducation nationale. Qui sont les conseillères et les conseillers d’orientation?

Je pense plutôt qu’il y a une crise d’éclosion de ces vocations chez les jeunes et le rôle de l’adulte dans ce sujet est extrêmement important

Elisabeth Moreno

Elisabeth [00:16:12] C’est un bon point, mais c’est un point éminemment important. Quand vous êtes un enfant, que vous habitez dans une zone rurale, que vous ne connaissez pas Sciences Po ou que vous ne connaissez pas l’Epita, que vous ne connaissez pas, la Sorbonne ou Dauphine, comment pouvez vous rêver grand de ces établissements si vous n’avez pas une personne qui vous dit si tu veux devenir ingénieur il y a une très belle école. Et en fait, c’est cet accompagnement de ces enfants dont les parents ne sont pas forcément issus de ces environnements très éduqués est capital parce que c’est celui qui ouvre les champs des possibles.

Et je suis d’accord avec vous Philippe, si on donne la même importance de formation à ceux qui accompagnent et qui guident ces enfants pour qu’ils réalisent leurs rêves, on n’aura plus de problèmes de vocations parce que qu’en vérité j’entends beaucoup de gens dire Oh là là, les jeunes ne rêvent plus, ils n’ont plus de vocation. Je ne crois pas du tout que ce soit ça. Il y a toujours des vocations. Je pense plutôt qu’il y a une crise d’éclosion de ces vocations et le rôle de l’adulte dans ce sujet est extrêmement important.

on a 30,3 % des filles qui sont orientées vers la tech contre 61 % pour les garçons

Ludovic Baumgartner

Philippe [00:17:26] Ce qui veut dire ce qui veut dire madame la ministre qu’on a, c’est ce double enjeu ou cet enjeu en cascade de former les formateurs et de s’assurer que ceux qui vont détecter des vocations et qui vont les accompagner aient une compréhension pas nécessairement ultrafine, mais une compréhension juste de ce que sont ces différents métiers.

Ludovic [00:17:48] Pour revenir sur les chiffres. J’avais noté qu’en terme d’orientation, aujourd’hui, on a 30,3 % des filles qui sont orientées vers la tech contre 61 % pour les garçons. Donc déjà à la base, oui, les conseillers d’orientation ont leurs propres biais.

Elisabeth [00:18:05] Bien sûr, mais en fait, et les conseillers d’orientation sont des femmes et des hommes comme les autres. Donc ils grandissent avec les mêmes préjugés auxquels nous sommes tous les trois régulièrement confrontés. Et donc, c’est extrêmement important de les accompagner. Parce que moi, je crois vraiment que chaque femme et chaque homme est fondamentalement intelligent, ce qui fait que cette intelligence se transforme en quelque chose de positif, c’est l’apprentissage. Si tu n’apprend pas aux enfants dès le plus jeune âge à vivre le monde et à en tirer le meilleur, et bien il n’en tirera qu’une infime partie. Donc moi, je ne les blâme pas. Je blâme un système qui ne met pas suffisamment de temps, suffisamment d’argent et suffisamment d’énergie à former les personnes qui prennent en main le destin de notre pays. Parce que bien former notre jeunesse, c’est parler de l’avenir de la France. Et c’est pour ça que ce sujet me tient particulièrement à cœur.

tu disais qu’on ne dirige vers les métiers de la tech, que 30 % des femmes. Je crains que ces 30 % n’y restent pas…

Philippe [00:19:13] Sans vouloir ramener le sujet trop dans le domaine ou dans le champ de la tech, c’est un peu ce qu’on se disait dans la première partie de cette discussion. C’est un domaine qui évolue à toute vitesse et donc c’est un domaine dans lequel le défi de l’adaptation de la formation des conseillers d’orientation ne va pas se focaliser sur eux, mais de l’ensemble du système éducatif est un défi de vitesse qui, à mon avis, est un peu sidérant et peut être, dans certains cas, dépasse ceux qui sont en charge de l’organiser. Puisque les repères et les futurs métiers dont on dit souvent qu’on ne les connaît pas tous, et cetera évoluent à toute vitesse.

Elisabeth [00:21:20] Et moi j’ajouterais ça parce que tu parlais de tu disais qu’on se dirige vers les métiers de la tech, que 30 % des femmes. Je crains que ces 30 % n’y restent pas. Donc déjà le chiffre est catastrophique. Quand tu penses que le numérique est en train de changer le monde et il est en train de nous changer en tant qu’êtres humains. Notre comportement change avec le numérique. Les usages du numérique font que, en tant qu’êtres humains, nous changeons notre manière de communiquer, de voir le monde, de nous voir, de nous estimer, d’avoir confiance en nous et etc, et cetera Donc déjà le fait qu’il exclut 50 % de la population, c’est problématique. Mais au delà de ça, il faut savoir que l’un des métiers qui va être le plus en vogue dans les années à venir, c’est la cybersécurité. Tu sais combien il y a de femmes?

Ludovic [00:22:15] [00:22:15]Aujourd’hui, je dirais 14 %.

Elisabeth [00:22:17] [00:22:17]Dix.

Pourquoi 70 % des projets de transformation dans les entreprises échouent? Parce que ce n’est pas la connaissance qui te fait bouger. Ce sont des croyances et des habitudes.

Ludovic [00:22:17] Dix. Alors justement, je veux être sur la représentation des femmes dans la tech en quatre. En 1980, on disait qu’il y avait 35 % de femmes dans la tech et aujourd’hui j’ai eu un chiffre qui était de l’ordre de 14 à 15 % et là vous m’avez tous les deux sauté dessus en disant ce chiffre n’est pas stable, il régresse. Malgré tout ce qui est mis en place en termes de communication, de prise de conscience, d’associations qui bougent. Pourquoi ce chiffre ne bouge pas?

Elisabeth [00:22:50] D’abord, et ça, c’est toi qui me l’a appris, Ludovic. Pourquoi 70 % des projets de transformation dans les entreprises échouent? Parce que ce n’est pas la connaissance qui te fait bouger. Ce sont des croyances et des habitudes. Et on a apporté la connaissance. Mais on n’a pas changé les croyances et les habitudes. Donc il manque une partie du travail dans ce qui a été fait.

La deuxième chose, c’est qu’on retient 10 % de ce que l’on sait. 10 %. Et 90 % de ce qu’on expérimente. Même si tu n’as pas suffisamment de jeunes filles, de parents, de professeurs, d’entreprises qui expérimentent la puissance de la féminisation des métiers du numérique, on n’y arrivera pas. Je répète sans arrêt cette citation d’Einstein parce que je trouve qu’elle est tellement vrai dans notre comportement humain. Il n’y a que les fous qui répètent inlassablement les mêmes actions en espérant des résultats différents. Moi, j’ai travaillé dans la tech pendant 20 ans. On répète inlassablement les mêmes actions. On sait qu’elles ne fonctionnent pas, mais on ne les change pas. Tant qu’on ne changera pas nos croyances et nos habitudes, tant qu’on n’expérimentera pas le côté positif de davantage de mixité, de parité et de diversité sur un sujet qui est en train de transformer le monde, on n’y arrivera pas. Donc pour moi, la formation, la formation, la formation, l’apprentissage sont clés.

On montre simplement à qui veut le regarder que les écarts de moyenne entre les filles et garçons sont assez nettement à l’avantage des filles…

Philippe [00:25:58] La pédagogie de l’EPITA est connue depuis 84 pour cette très grande place mise à la pratique, étant au cœur du savoir. Il y a toujours un petit biais contre lequel on est en train de lutter avec un succès croissant qui est un biais de légitimité. Et qui est un biais, à mon avis, qu’on retrouve également en entreprise et dans d’autres environnements qui est : je suis là parce que je suis une fille, il te reste à faire preuves . Ce biais là. On le corrige progressivement de manière tout simplement très factuelle, en montrant dans le suivi de la progression des étudiantes, notamment dans la première année du cycle ingénieur qui est très, très exigeante, très intense et dans laquelle ils vont monter en puissance toutes et tous, de manière considérable. On montre simplement à qui veut le regarder que les écarts de moyenne entre les filles et garçons sont assez nettement à l’avantage des filles et que du coup, ça devrait inciter certains garçons à travailler un peu plus en s’apercevant qu’en fait elles ne sont pas là parce que ce sont des filles, c’est eux qui sont en risque de ne pas être encore là si ils s’y mettent pas…

Ludovic [00:28:12] Et ça, ça fait partie des données des interviews que j’ai pu regarder en préparant l’émission. Quand on écoute des femmes dans la Tech dans des equipes de développement, elles disent avoir une pression personnelle. Parce que finalement. Elles représent les femmes et que si à un moment elle se plantent sur la programmation d’un serveur, c’est que toutes les femmes sont mauvaises.

Philippe [00:28:35] Et puis c’est l’effet minorité

quand tu es en minorité, tu dois prouver deux fois plus pour qu’on ne te taxe pas justement de favoritisme

Elisabeth [00:28:38] Tu prends Christelle Lindemann, Elle est patronne d’Orange, tu prends Catherine MacGregor, qui est patronne directrice générale d’Engie. En fait, ce genre de femmes, évidemment qu’elles ont une pression sur leurs épaules, que les autres hommes n’ont pas. Pourquoi? Elles sont que deux? Mais en fait, quand tu es en minorité, tu dois prouver deux fois plus pour qu’on ne te taxe pas justement de favoritisme et qu’on ne dise pas tu es là parce que t’es une femme. Les femmes qui arrivent à ce genre de poste, Moi, j’ai une infinie admiration pour elles parce qu’elles doivent toujours faire trois fois plus pour mériter leur place. Et c’est pour ça que pour elles, le pont est tellement immense qu’elles ne veulent même pas y aller. Et il faut prendre conscience que ce genre de choses nous coupe de talents extraordinaires. Et je crois véritablement que c’est un drame. Et c’est bien que l’Epita mette un focus particulier pour accompagner et aider les jeunes filles pour ne pas qu’elles se découragent. Parce que imaginez vous, messieurs, si vous êtes dans un environnement hyper testostérone mais où il n’y a que des femmes et où en permanence, on vous regarde en vous disant ça va, c’est pas trop dur, tu crois que tu vas y arriver? Mais même si tu as confiance en toi.

Ludovic [00:30:03] Assez vite.

Elisabeth [00:30:03] A un moment donné, tu t’en vas. Eh bien, c’est exactement ce qui se passe aujourd’hui. Même les 30 % de femmes qui rentrent dans le milieu de la tech n’y restent pas. Parce que là, des blagues débiles, vaseuses qui s’ajoutent à charge de travail et les horaires de travail. Parce que le numérique est un monde où le travail est assez intense. Il y a aussi le fait qu’à un moment donné, t’as pas envie qu’on te regarde comme un quota, tu n’as pas envie…tu as juste envie qu’on respecte tes compétences, ton expérience, ton savoir, tes diplômes, et cetera et cetera Et aujourd’hui, on n’en est pas encore là.

Ludovic [00:30:41] Ça, en tant qu’homme au sens masculin. C’est important de l’entendre parce que moi, personnellement, je n’ai pas conscience de ça, parce que je n’ai jamais vécu ça.

Ludovic [00:30:52] Et je pense que, à un moment, si on a des fonctions de leadership, si on a des fonctions de direction, si on a des fonctions d’encadrement quelles qu’elles soient, et qu’on est un homme et qu’on n’a jamais été confronté à ça à un moment, ce discours, il faut l’entendre.

Elisabeth [00:31:07] Oui, tu as raison

Ludovic [00:31:09] Une prise de conscience.

les femmes sont systématiquement exclues des lieux de pouvoir…

Le mentoring

Elisabeth [00:31:10] Absolument. Moi, j’ai grandi dans des milieux comme Philippe, dans des milieux très masculins d’abord le bâtiment et ensuite la tech et ensuite la politique et la magistrature. Donc j’ai vraiment grandi que dans des milieux très masculins. Je précise magistrature, tribunal de commerce, donc où il y a beaucoup plus d’hommes que de femmes. Parce que dans la magistrature, de manière générale, il y a plus de femmes et. Et je me souviens que quand j’étais dans la tech, j’ai toujours eu des mentors. Je fais partie de ces femmes qui disent qu’on ne gagnera ce combat de l’égalité que en embarquant les hommes. Justement pour les raisons que tu viens d’évoquer, c’est que tous les hommes n’ont pas conscience de ces biais discriminants. Tu vois une petite blague de rien du tout pour toi ça va être drôle pour une femme, ça va la couper dans son élan. Et en fait, tant qu’on ne prendra pas le temps d’expliquer, de raconter pourquoi c’est blessant, pourquoi ça nous touche. Pourquoi ça ne nous empêche d’avancer? On n’y arrivera pas.

Et à chaque fois que j’ai eu des mentors, j’ai fait du reverse mentoring. C’est à dire que parce que quand tu fais du mentorat, il faut toujours avoir quelque chose à donner, tu ne peux pas que recevoir. Et je proposais à ces hommes qui avaient de très grandes responsabilités dans les entreprises de leur parler de ce que c’est qu’être une femme dans une entreprise d’hommes.

Et si on fait davantage ça, si on partage, si on discute sereinement, on arrivera à se comprendre. Parce qu’aucun père, aucun mari ne voudrait voir sa fille maltraitée dans son milieu professionnel. Aucun. Eh bien, si on traite les femmes et les filles de nos environnements, comme on voudrait que les femmes de nos environnements soient traitées, crois moi, le problème sera réglé très rapidement.

Ludovic [00:32:57] On revient effectivement sur les croyances.

Philippe [00:33:00] Je jouerai à rebondir sur deux ou trois points rapidement. Vous mentionnez le mentorat. Je crois qu’on en avait parlé en début de en début de discussion, ce qui a été mis en place dans le monde de la cyber, notamment avec les cadettes de la cyber, est absolument indispensable pour aider ces jeunes filles qui sont à peine 10 % à faire leurs armes, que ce soit d’ailleurs dans des institutions militaires ou civiles.

Hardware c’est ce qui est difficile et donc c’était pour les Mecs Software, la programmation c’est facile, c’est soft, et donc c’était dévolu aux femmes…

Philippe Dewost

Le mentorat a un deuxième avantage qui permet de créer un pont entre les générations, puisque l’hyper masculinisation de la tech et de certains secteurs ne date pas d’hier. Elle remonte à bien, bien plus loin. Et quand tu disais tout à l’heure, tu parlais des 30 % dans les années 80. Si on remonte encore avant, il faut se souvenir. Et peu de gens le savent. Mais de cette séparation qui a été fait assez tôt entre le logiciel et le matériel, ce n’est pas un hasard si on dit software et hardware. Hardware c’est ce qui est difficile et donc c’était pour les Mecs Software, la programmation c’est facile, c’est soft, et donc c’était dévolu aux femmes. Et ça fait le raccord avec ces quelques films qui sont sortis sur ces femmes qui programmaient dans les années 60 parce que c’était un truc pour les filles.

Elisabeth [00:36:08] Je vais ajouter à ça. C’est tellement juste ce que Philippe vient de dire. Au début du numérique, il y avait des femmes.

Ada Lovelace est née avant Alan Turing. Quand on parle aujourd’hui du numérique, on pense d’abord à Alan Turing. Mais c’est grâce aux travaux d’Ada Lovelace que Alan Turing a pu avancer

Elisabeth Moreno

Ludovic [00:36:15] Oui, oui.

Elisabeth [00:36:16] Ada Lovelace est née avant Alan Turing. Quand on parle aujourd’hui du numérique, on pense d’abord à Alan Turing. Mais c’est grâce aux travaux d’Ada Lovelace que Alan Turing a pu avancer lui même. Le Wi-Fi a été inventé par une femme comédienne, Valérie Thomas. Catherine Johnson, sans qui la NASA n’aurait pas fait tous les travaux qui ont été faits pour aller sur la Lune, et cetera Le numérique a basculé entre les mains des hommes dès lors qu’il est devenu une sphère de pouvoir. Et c’est pour ça que la question de hardware software est tellement parlante. L’histoire raconte toujours d’où on vient et le fait que, au début, il y avait des femmes, que dans les années 80, il y avait encore une parité presque parfaite et que aujourd’hui, en 2023, on est basculé avec des femmes en minorité. C’est parce qu’on a compris que le numérique était devenu un lieu de pouvoir. Et les femmes sont systématiquement exclues des lieux de pouvoir.

les femmes sont le talent pool le moins exploité au monde. On est 52 % de la population mondiale

Ludovic [00:37:24] Donc ça veut dire que tout le sujet autour duquel on est en train de tourner. Encore une fois, ça reste une question de pouvoir. Alors, en termes d’impact sur l’industrie, on dit aujourd’hui que la croissance du marché va demander à peu près 50 000 emplois par an dans le digital. On arrive à produire 25 000 potentiellement candidats sur le marché, donc déjà, en fait, aujourd’hui, on ne produit que la moitié des besoins. S’il y avait plus de femmes qui se dirigeaient vers la tech déjà, est ce qu’on pourrait remplir et répondre aux besoins du marché?

Elisabeth [00:38:03] Évidemment.

Elisabeth [00:38:06] Parce que le secrétaire général des Nations unies disait que les femmes sont le talent pool le moins exploité au monde. On est 52 % de la population mondiale.

Ludovic [00:38:20] [00:38:20]Donc on y est. Il y a un réservoir énorme. [1.2s]

Elisabeth [00:38:21] Mais il y a un méga 50 études qui ont été faites. Sur ce sujet. D’abord pour dire que les environnements où il y a. Je sais que tu as posé la question à Philippe, mais cette question là, et c’est quoi? Ça me fait bondir. D’abord, on sait que les environnements plus diverses sont plus innovants, plus créatifs, plus intelligents. Mathématiquement, cela a été prouvé par 1000 et une manière deux. Une société équilibrée est une société qui se porte bien. Notre société aujourd’hui est totalement déséquilibrée, que ce soit en termes de mixité, de parité ou de diversité ailleurs. Tu prends les mots, on parle de minorités. Les femmes sont la seule majorité traitée comme une minorité. C’est totalement absurde. Mais la manière dont on dit les choses en dit long sur notre capacité à donner aux femmes la place qu’elles méritent.

C’est pour ça que j’ai accepté la proposition de prendre la présidence de Femmes@numérique parce qu’encore une fois, ça fait 30 ans qu’on en parle, 30 ans dans les pays européens, ça fait 30 ans qu’on en parle. Et tu sais quoi aujourd’hui? Des pays qui sont moins développés économiquement, technologiquement, techniquement que les pays européens ont davantage de femmes qui sont dans le numérique. Mais on a perdu tout, toute notre avance et aujourd’hui on est dépassé par des pays qui sont partis après nous. Il faut se poser les bonnes questions à un moment donné parce que c’est une question de performance et de compétitivité.

Philippe Mais encore une fois, encore faut il susciter des vocations d’ingénieurs et rappeler à une époque où beaucoup de beaucoup de jeunes se représentent assez peu, ce que c’est que le monde du travail. Est ce que leur rappeler que les ingénieurs, ils ont une caractéristique intéressante de mon point de vue, que ce soit en informatique, ce sont ceux qui font. Et si on veut réparer la planète, si on veut construire demain, si on veut, si on veut fabriquer des choses, des objets, si on veut construire des routes, si on veut relier les humains entre eux, y compris depuis l’espace, etc, il faut des ingénieurs.

Ludovic [00:45:02] Et ça veut dire que culturellement et encore une fois, la manière de présenter les métiers est fondamentale. Plutôt que de dire tu vas faire des maths toute ta vie, ce qui devient naturel à pas mal de candidatures, tu vas produire, tu vas réaliser, tu vas contribuer à construire des choses réelles dans le monde

Elisabeth [00:45:19] Correctement ça, C’est un fait. Il faut rendre les métiers des sciences, des technologies, des mathématiques et de l’ingénierie vivants.

Ludovic [00:45:28] Ça, c’était ta proposition.

Elisabeth [00:45:31] Et si on apprend à nos enfants que l’ingénierie, le numérique, c’est tout ce qu’ils utilisent au quotidien, c’est leur sac pour aller en cours, c’est leur vêtement, c’est la table sur laquelle ils travaillent et bien au fait qu’il faut le rendre vivant. Et pour les filles, c’est la même chose, c’est donner du sens et expliquer à une fille que grâce au numérique, elle peut sauver des vies en faisant des opérations entre Paris et Jakarta, entre Bombay et New York. Tout d’un coup, ça rend les choses vivantes.

Philippe [00:47:28] C’est d’autant. C’est d’autant plus plus flagrant dans le monde de l’informatique. Comme comme je le disais un peu plus tôt, c’est un des rares domaines dans lesquels le seul obstacle qu’il y ait entre ce que tu as décidé de faire et le fait que ce que tu as décidé de faire existe et fonctionne et opère et change la vie, les comportements, la manière de faire d’un tas d’autres gens….le seul obstacle, c’est toi et uniquement toi. Et donc ce que tu as appris à faire et ce que tu sais faire. Et c’est là qu’on rejoint cet enjeu pédagogique qui est si particulier à l’Epita, dans le fait d’apprendre en faisant. C’est quand tu apprends, en faisant, non seulement tu retiens beaucoup mieux ce que tu as à faire, mais en plus tu découvres que tu en es capable. Tu découvres que ton action a un impact et tu prends confiance en toi à chaque étape de ta progression

Je crois qu’il y a une chose fondamentale à faire aujourd’hui, c’est apprendre à travailler ensemble

Elisabeth [00:49:24] Je voudrais juste compléter quelque chose par rapport à ça. C’est que l’exemple que Philippe vient de donner montre que une structure seule ne peut pas répondre à tous les enjeux de cette numérisation et de ce monde numérique qui est en marche pour plusieurs raisons. Je crois qu’il y a une chose fondamentale à faire aujourd’hui, c’est apprendre à travailler ensemble, faire tomber les silos qu’il y a entre les politiques publiques et le monde de l’entreprise, entre le monde de l’entreprise et les associations.

c’est comme ça que les entreprises aujourd’hui peuvent donner du sens à leurs collaborateurs

Il y a beaucoup d’entreprises qui ont compris que, au lieu de mettre des centaines de millions à faire de la pub désincarnée et qui ne fait aucun sens, eh bien, accompagner une une association sur la féminisation des femmes dans le numérique. D’ailleurs, la fondation est prête à accueillir toutes les entreprises qui le souhaitent, les accompagner. Une association qui travaille sur l’égalité des chances. En fait, c’est comme ça que les entreprises aujourd’hui peuvent donner du sens à leurs collaborateurs. En fait, la société est en train d’être repensée. Elle est en train de bouger et si on arrive à faire en sorte que l’entreprise se mette au service de ses collaborateurs et des clients qu’elle sert, elle fera beaucoup plus de profits.

ceux qui ont le choix choisiront les entreprises qui sont vertueuses sur le climat, sur l’égalité des chances, sur l’égalité entre les femmes et les hommes

Si elles ne le font pas, elle perdront des collaborateurs et collaboratrices. Et pas que les jeunes. Parce que je peux te dire que les gens de notre âge aussi se posent des questions sur la raison pour laquelle ils se lèvent le matin, à quoi ils servent et en quoi ils sont utiles au monde. Donc tu as une convergence entre les générations aujourd’hui. Bien sûr, on va travailler aussi pour gagner son salaire et payer son loyer. Mais ceux qui ont le choix, ceux qui ont fait les bonnes écoles, ceux dont les entreprises ont besoin, choisiront les entreprises qui sont vertueuses sur le climat, sur l’égalité des chances, sur l’égalité entre les femmes et les hommes, et cetera, et cetera Et les entreprises qui n’ont pas compris cela vont avoir quelques difficultés, quelques soucis à se faire à l’avenir par rapport à leur recrutement.

C’est comment on fait prendre conscience à la société qu’elle a besoin des femmes et que les femmes ont davantage à lui apporter aujourd’hui que ce qu’elles ne font et que si on leur permet de s’épanouir c’est toute la société qui y gagne, c’est les femmes, ce sont les hommes, c’est les enfants.

Si on parvient à faire comprendre à nos leaders, qu’ils soient politiques ou économiques, qu’ils doivent changer la manière dont ils prennent les décisions pour n’oublier personne sur le bord de la route …

Puis la troisième chose, et ça, j’en suis intimement convaincu, parce que j’ai été dans ces responsabilités là. Si on parvient à faire comprendre à nos leaders, qu’ils soient politiques ou économiques, qu’ils doivent changer la manière dont ils prennent les décisions pour n’oublier personne sur le bord de la route, que ce soit les personnes qui vivent dans les zones rurales, que ce soit des personnes qui vivent sur les territoires ultramarins dans l’Hexagone, que ce soit des personnes jeunes ou des personnes seniors, que ce soit des personnes de toutes les couleurs qui représentent notre société, et bien c’est pour moi la seule manière d’y arriver. Et ce sont les trois sujets sur lesquels je travaille aujourd’hui.

Ludovic [00:56:11] Quand on revient à l’entreprise, il y a toujours une logique de performance. Je pense qu’il ne faut pas sous estimer la fierté que quelqu’un peut avoir de dire : Moi, dans mon entreprise, je peux travailler sur tel sujet, via un projet en interne, via une association. Mais cette espèce de fierté, et là, on revient en fait à la marque employeur.

Elisabeth [00:56:57] C’est une source de rétention des talents et c’est une source d’attractivité extérieure. Parce que quand tu dis que tu soutiens l’hôpital Foch, parce qu’il a fait la première greffe de l’utérus à une femme, bah tu sais pourquoi tu soutiens cette structure

Il faut absolument qu’on change le sens et le rapport au travail

Ludovic [00:57:14] Il y a une fierté. et il y a un chiffre que j’adore. 1 personne qui est stimulée, inspirée, qui travaille des entreprises qui ont du sens, qui est totalement incarnée, elle vaut 2,44 personnes. Et oui, c’est à dire que c’est plus du double.

Ludovic [00:57:38] Parce que l’énergie, la motivation et la stimulation quotidienne qui est mise est complètement incroyable. Il y a d’une part la fierté à travailler pour l’entreprise dont la bonne réputation, mais également très concrètement, c’est de la productivité. Enfin, je reviens à une logique de performance.

Elisabeth [00:57:53] Alors le Gallup, depuis une dizaine d’années, mesure l’engagement des salariés dans 38 pays, dont les 27 européens. Tu sais quelle est la position de la France? 36ᵉ sur 38 pays alors je sais que si on est un peu plus pessimiste que la moyenne. Mais tu comprends bien que si tu n’as. Ne serait ce qu’un quart de tes collaborateurs qui sont sincèrement engagés, tu vois l’impact que ça sur la productivité et sur la rentabilité à long terme. Donc il faut comprendre que ce n’est pas juste pour être gentil qu’il faut faire ça. C’est pas une question de morale ou d’éthique, même si c’est aussi une question de morale et d’éthique. C’est aussi une question de survie dans le long terme pour les entreprises. Il faut absolument qu’on change le sens et le rapport au travail.

IA et Diversité

Ludovic [01:01:49] Ça, c’est là, c’est ce qui nous incarne, c’est ce qui nous rend humain, c’est l’émotion. Du coup, j’en profite pour pour faire la transition. Sur le dernier point, c’est l’IA, l’intelligence artificielle. Avec tout mon parcours dans la tech Philippe, ton regard sur l’IA. Aujourd’hui, on se dirige vers quoi?

En fait, le sentiment que j’ai, c’est que avec avec l’IA, on est en train de passer d’une économie de l’attention puisqu’en fait les les seuls, le temps qu’on passe sur les écrans, c’est quelque chose qui a pour objectif de vendre de la publicité. Google, les réseaux sociaux vendent du temps d’attention, c’est de la pub. Et l’on va passer avec l’IA d’une économie de l’attention à une économie de l’intimité. Parce qu’à un moment elle va savoir, elle va me connaître. Dans mon intimité, je n’ai plus besoin d’aller acheter une chemise parce que l’IA, elle sait où je pars en vacances. Elle connaît les goûts de ma copine et de mes amis. Elle connaît même la mode actuellement. L’endroit où je vais aller en vacances, c’est elle qui a pris les billets. Donc je n’ai plus à aller faire de la recherche. Et c’est cette notion d’intimité qui va être qui va être fondamentale.

Et à partir du moment où une IA est capable de connaître mon intimité, elle est également capable d’influencer mes croyances. Là, on va arriver sur un sujet qui, du coup, est fondamental. Parce que est ce que les personnes qui sont à l’origine du développement de ces IA, Et là, on parle de biais en termes d’algorithmes et je le dirai directement. Est ce qu’on peut se permettre d’avoir 80 % des gens qui développent les IA qui soient des hommes blancs? Je ne sais pas si ce chiffre est vrai, mais c’est quelque chose qui fait partie de mes croyances. Donc en termes de développement et de biais sur les IA qui arrivent, moi ça me pose un sujet, je voudrais avoir votre avis.

Je ne sais pas complètement vers quoi on se dirige. Ce que je sais, c’est qu’on s’y dirige à une vitesse absolument inégalée

Philippe [01:02:18] Je vais te répondre très sincèrement. Je ne sais pas complètement vers quoi on se dirige. Ce que je sais, c’est qu’on s’y dirige à une vitesse absolument inégalée. Moi, j’ai une grande conviction qui est qu’on a été. On a été pris de vitesse collectivement par la révolution numérique. Là, ça va être encore plus joyeux. Ce qui veut dire qu’il faut, à mon sens, être extrêmement aiguisé. Encore nos facultés de curiosité, aiguiser nos facultés de coopération et de compréhension. Parce que peut être qu’à plusieurs, on se fera une idée plus juste de ce qui est en train de se passer. Il faut tester, tester, tester.

J’observe, j’observe deux choses. La première, c’est que dans les courses qui se sont engagées, il y en a une qui est moins souvent mise en valeur, mais qui est la course que se livrent soit des très, très gros projets ultra financés qui protègent leur savoir faire. Pour l’instant, parce qu’ils savent que c’est un avantage concurrentiel qui est fragile et qui est temporaire, et des projets très agiles qui suivent cette démarche de l’open source qui a complètement révolutionné le web et l’informatique depuis la fin des années 90.

Et on voit de très petites équipes très agiles qui parviennent dans ce que j’en comprends. Mais encore une fois, tout va très vite à démontrer, qu’on est capable de faire avec beaucoup moins de moyens, des modèles beaucoup moins complexes, dont la pertinence est apparemment dans certains cas. Je parle avec beaucoup de précautions puisque tous les jours il se passe des choses.

Ludovic [01:03:45] La première chose c’est l’accélération.

Philippe [01:03:46] C’est l’accélération qui qui va demander justement Encore plus de sens critique mais de sens critique. Pas au sens. C’est bien, c’est pas bien pour ou contre vous avez deux minutes mais de sens critique au sens où on va s’y mettre ou pas.

Je fais un pas de côté, mais moi j’ai un souvenir très marquant en 2014 d’avoir vu arriver un truc auquel personne ne comprenait rien, qui était le début des cryptomonnaie avec Bitcoin, avec Atrium et ce qu’on a appelé la blockchain qui était le mot générique dans lequel on mettait tout ce qu’on ne comprenait pas. J’étais à la Caisse des dépôts, Caisse des dépôts, qui est l’institution qui centralise la confiance des Français depuis 200 ans. On avait fêté nos 200 ans et là, on s’est retrouvé face à la promesse de la confiance décentralisée, sans besoin de quiconque au milieu pour valider quoi que ce soit. Donc ça nous grattait forcément et assez vite. J’ai eu l’intuition, avec une de mes une de mes collègues, de me dire Mais ce sujet est incompréhensible, on ne peut pas y rester indifférent. Le seul moyen d’essayer de comprendre, c’est à plusieurs. Et on a monté une espèce de labo informel d’exploration qu’on a appelé login dans lequel il y avait des start up comme Ledger comme com premium, mais dans lequel il y avait aussi d’autres institutionnels, puis le régulateur qui nous a rejoints quand ils se sont aperçus qu’on expérimentait en faisant on testait des cas.

On s’est tous formé pour essayer de comprendre où ça pouvait aller et ce que ça pouvait nous renvoyer de nous mêmes. Il y a aujourd’hui un projet comme Archipel, typiquement, qui est un descendant lointain de ces travaux là.

Je pense qu’on est invité à faire la même chose, c’est à dire à expérimenter à partir de cas d’usages, à le faire avec des des partenaires qui sont très, très différents de nous, très différents de l’environnement dans lequel on est habitué à opérer. Parce que c’est comme ça qu’on sortira du pour ou contre, du c’est bien, c’est mal, c’est foutu, c’est pas foutu, mais ça c’est la première chose.

Deuxième point sur lequel je voulais juste réagir parce que tu parlais tout à l’heure de l’IA comme économie de l’intimité et comme capable de devancer la plupart de mes besoins. Je pense qu’il restera quand même un petit sujet qui est ce mot anglo saxon délicieux qu’on a jamais réussi à traduire proprement en français qui est la sérendipité. Je pense que l’humain fonctionne aussi par l’inattendu et la réaction et l’inattendu. L’expérience de l’inattendu sont des composantes fondamentales de la personne humaine. Donc je pense le jour où on demandera à l’IA de nous surprendre, on aura peut être un petit sujet anthologique.

je pense que ce qui est important aujourd’hui, c’est de prendre nos responsabilités en tant qu’être humain.

Elisabeth [01:09:50] C’est la vélocité. On en fait. Ça fait juste. Alan Turing parlait déjà de cette vélocité là. Il disait déjà qu’on en arriverait à un stade où peut être le numérique irait plus vite que l’humain. Qu’est ce qu’on en a fait? On avait la connaissance, mais qu’est ce qu’on en a fait? Donc, en vérité, je pense que ce qui est important aujourd’hui, c’est de prendre nos responsabilités en tant qu’être humain. Parce que le numérique, ça n’est qu’un outil, c’est un marteau pour taper sur des clous.

Qu’est ce qu’on a fait notre humanité dans tout ça? Et bien peut être que l’ IA nous donne la possibilité d’y repenser.

C’est un outil créé par des hommes pour les hommes avec un grand H. Si on décide d’utiliser le numérique pour se faire peur, pour faire du cyber harcèlement, pour tuer des jobs, et cetera, et cetera, c’est notre choix et notre responsabilité. Si on décide qu’il n’est pas tolérable que de plus en plus de jeunes se suicident parce qu’ils sont cyber harcelés, que de plus en plus de femmes vivent traqués par des traceurs que leur partenaire malveillants met sur leur téléphone pour les surveiller, et cetera. Si on décide de remplacer certains métiers fait par des hommes où, il y a des relations humaines importantes, par des robots ou par l’intelligence artificielle, c’est nous qui le faisons. Donc il ne faut pas responsabiliser quelqu’un d’autre que les humains que les femmes et les hommes qui ont fait de notre société une société de consommation. On est devenus des producteurs et de consommateurs. Qu’est ce qu’on a fait notre humanité dans tout ça? Et bien peut être que l’ IA nous donne la possibilité d’y repenser.

Elisabeth [01:28:14] Et c’est dramatique. En fait, je crois, que c’est la première fois de notre humanité qu’on vit dans deux mondes parallèles le monde physique et le monde virtuel.

Ludovic [01:28:28] Qui va s’amplifier

Elisabeth [01:28:29] Qui va s’amplifier avec le temps. Bah en vérité, si tu n’apprend pas à ton enfant que de la même manière qu’il n’insulte pas quelqu’un qu’il rencontre dans la rue, qu’il ne connaît pas, dans le monde virtuel, c’est la même chose. C’est l’éducation et c’est l’enfant. Mais ce sont aussi les jeunes adultes, ce sont les vieux adultes. En fait, c’est toute la société qui doit réapprendre ce monde dans lequel nous vivons.

Et je veux surtout pas finir sur une note pessimiste parce que je suis quelqu’un de fondamentalement optimiste. Je pense que ce qui est en train de se passer aujourd’hui nous offre l’opportunité de regarder ce que nous sommes en tant qu’êtres humains, en tant qu’être de chair et de sang, avec des émotions, avec des sentiments. C’est le meilleur moment pour nous concentrer sur ce que nous sommes et sur ce que nous souhaitons devenir.

Et je suis convaincue que dès le plus jeune âge ou dans le cursus scolaire, le fait de mettre en place un cursus d’humanités numériques …

Philippe [01:30:34] Non, mais je peux conclure là dessus. Je pense que le cœur au cœur des enjeux dont on vient de discuter, il y a celui de la formation. Que ce soit la formation dès le plus jeune âge que ce soit. Mais ça va jusqu’à la formation, la formation continue et l’executive education. Je pense que cette formation là, dit elle, doit reposer sur un socle avec trois fondamentaux en tout cas qu’on a vu qu’il ne faut surtout pas avec lesquels il faut pas négocier. Qui sont les sciences, les maths, la philo et l’histoire. Et je suis convaincue que dès le plus jeune âge ou dans le cursus scolaire, le fait de mettre en place un cursus d’humanités numériques qui permette de regarder le sujet à la fois par l’angle de l’expérimentation, mais aussi par l’angle de la réflexion, du dialogue entre des adultes et des des collégiens, des lycéens. C’est pour moi une voie, une voie de progrès qui me semble infiniment nécessaire. Et je conclurai volontiers par cette cette phrase de St-Ex que je continue à méditer, qui est issue de son roman posthume Citadelle et qui dit tout simplement L’avenir, tu n’as pas à le prévoir, mais à le permettre.

Elisabeth [01:31:54] Moi, je conclurai simplement en disant que la période que nous vivons est extrêmement anxiogène. Elle amène beaucoup d’inquiétudes, de préoccupations, de peurs et en même temps, c’est une période de tous les possibles, fascinante. Et elle est fascinante cette période, parce qu’elle nous amène à nous interroger sur des sujets qu’on a passablement négligés ces dernières années notre place en tant qu’humain dans l’entreprise, notre place en tant qu’humain sur la manière dont on gère les outils et l’outil numérique, en particulier la place que l’on donne à ces minorités qui ne sont pas des humains, des minorités, mais des humanités à l’égalité des chances de réussir.

Et je voudrais dire aux jeunes, aux parents, aux enseignants, aux entreprises, aux femmes et aux hommes qui construisent les politiques publiques que c’est. Une période complexe, certes, mais on sait bien que souvent du chaos naît des choses extraordinaires. Et je suis convaincue que plus que jamais. En travaillant ensemble, en mélangeant les expertises, les savoir faire, en mélangeant les êtres humains, eh bien, nous parviendrons à construire un monde qui soit beaucoup plus désirable et beaucoup plus attractif et beaucoup plus résilient que celui dans lequel nous vivons aujourd’hui et que je ne doute pas une seule seconde que nous aurons besoin des énergies masculines et aussi plus que jamais, des énergies féminines.

Si vous avez aimé cet épisode vous aimerez certainement la première partie de l’enregistrement dans laquelle Elisabet Moreno et Philippe Dewost racontent leurs parcours 🙌

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Credit Photo : Nicole Eweck. Podcast and Article, all rights reserved to 2Good Holding.

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