Comment sortira l’industrie de la mode de la crise du Covid-19? Certains pensent que tout reviendra très vite “à la normale”. D’autres pensent que “la normale” est au contraire une situation anormale qui n’a que trop duré et appellent à la Révolution Slow Fashion.
8 Mai 2020 | Rome, Italy
By Delphine Souquet
Nul ne peut prédire la trajectoire que prendra la reprise économique une fois passé le confinement? C’est un moment charnière pour libérer les nouvelles technologies de façon totalement disruptive tout en redonnant du sens.
La Fashion Revolution est née en réaction au drame du Rana Plaza en 2013
La Fashion Revolution est un mouvement de révolte contre la logique productiviste dans la mode déclenché suite au drame de l’effondrement de l’usine du Rana Plaza au Bangladesh, dans lequel ont péri 1135 travailleurs sous traitants de l’industrie textile. Rappelons que l’industrie de la mode est la deuxième plus polluante au monde après le pétrole et que de nombreuses organisations à but non lucratif ont été créées pour sensibiliser l’industrie de la mode. La communauté engagée dans le mouvement social et digital #FashionRevolution est devenue globale. Elle a donné lieu à des initiatives concrètes en faveur de la Révolution Slow Fashion comme le label français de confiance de la mode éco responsable SloWeAre qui mobilise les énergies pour une mode respectueuse de l’humain et de l’environnement et qui labellise les marques répondant a un manifeste clair et précis.
Alors, oui cela va être compliqué de repartir maintenant que le système est à l’arrêt, que les Fashion Weeks sont annulées et reportées, et que les polémiques enflent sur le moment opportun ou non d’enclencher une révolution? Compliqué oui et non, car en période de rupture, il y a toujours de la place pour de nouveaux acteurs agiles, flexibles, enclins aux revolutions. Dans la mode, on parle de l’émergence de nouvelles filières comme l’upcycling ou le recycling, la seconde main et l’économie circulaire.
Est-ce que la crise actuelle va rendre possible des transformations à l’échelle globale de la planète que 20 ans de lutte contre le changement climatique n’ont pas réussi à enclencher?
Le ton de cet article est délibérément optimiste. Nous illustrons nos réflexions sur le futur de la mode avec les croquis de Gabriele Melodia, un jeune et talentueux illustrateur et designer italien. En effet, nous croyons au pouvoir de la créativité humaine et de l’imagination pour inventer l’avenir de la Mode…
Les nouveaux formats des Fashion weeks sont à réinventer
Aujourd’hui avec les pré-collections, les défilés croisières, la Haute couture, les collections Hommes, Femmes et Genderless, la situation du calendrier des Fashion shows est devenue chaotique. Sans compter le nombre de Fashion Weeks principales et secondaires, plus de 60 mondialement. La plupart des pays ont annulé purement et simplement leurs défilés de mode en 2020, tandis que d’autres optent pour une solution de streaming numérique pur comme Shanghai et Londres ou Milan en Juillet.
Rappelons que les Fashions shows étaient à la base construits sur un modele B to B, auxquels succédaient une campagne de vente et six mois plus tard la présentation des collections en boutique.
Quel est l’avenir des Fashion Weeks ? En 2020, il n’y aura pas de Fashion Week comme nous l’avions connu en raison des mesures de distance sociale obligatoire. Chaque jour, nous recevons des nouvelles d’annulation de salons ou d’évènements dans le secteur de la Mode. Alors que les grands shows font justement partie intégrante de l’ADN de la Mode. Car les grandes maisons de mode recherchent l'”effet Whaouh”, flirtent avec le spectaculaire, le démesuré et le jamais vu.
Les défilés se sont également largement démocratisés. Les influencers de la Mode ont pris place en front row à côté des principaux médias et des professionnels de la Mode. Rappelons que les Fashions shows étaient à la base construits sur un modele B to B, auxquels succédaient une campagne de vente et six mois plus tard la présentation des collections en boutique. La quantité de contenus produits sur le web a connu une croissance exponentielle. Rajoutant à cela que les médias traditionnels ont perdu la confiance et l’affection du public qui se tourne plus volontiers vers l’influencer pour avoir une experience digitale et plus personnelle de l’événement. Tout cela pousse à faire bouger les lignes.
Un nouveau calendrier avec des shows uniques
C’est une révolution sur le calendrier et les formats qui s’annonce
Carine Roitfeld, la déesse de la mode, après avoir organisé le spectaculaire show intitulé CR Runway lors de Pitti Uomo à Florence l’année dernière, a annoncé un tout nouveau format, à travers un spectacle numérique diffusé en direct sur Youtube le 1 mai 2020. Le Fashion show sera produit à distance avec une équipe de production et des mannequins qui défilent de chez elles. Certainement une situation extrême valable à l’heure du confinement!
Mais déjà avant le Covid-19, nous étions déjà dans une situation où la Fashion Week de New York avait été désertée. Tom Ford, le nouveau président du Council of Fashion Designers of America, avait tourné le dos à NYFW préférant faire défiler sa marque à Los Angeles en 2020. Pour Saint Laurent et son CEO Francesca Belletini, simultanément présidente de la French Woman Fashion week, c’est une participation annulée. La raison invoquée est de consacrer le temps nécessaire à la création et de fixer le calendrier dans un second temps.
L’industrie de la Mode est une habituée de la polémique, n’hésite pas à choquer, se remettre en question et sortir des rangs pour se réinventer. Il est vrai que le chaos du calendrier actuel et les changements des usages introduits par les technologies et les social médias invitent aujourd’hui à repenser non seulement l’organisation mais aussi le format des évènements.
Les directeurs créatifs et les marques appellent à prendre le temps de créer
Y a-t-il une Slow Fashion Revolution au niveau des leaders de l’industrie ? Après Alber Elbaz, John Galliano, Raf Simons s’opposant à un calendrier frénétique de défilés de mode et de conditions de travail dramatiques, Giorgio Armani et Anthony Vaccarello sont également en train de ralentir le jeu. L’objectif est de retrouver le temps de se concentrer à la création, qui est une valeur essentielle de l’industrie du Luxe. Et aussi réduire le rythme des collections pour mieux correspondre à la saisonnalité et laisser les collections plus longtemps en boutique.
Le point culminant de la mode Fast Fashion a été atteint avec les collections See now-Buy now, disponibles en boutique le lendemain du défilé. L’organisation des défilés de mode et les campagnes de vente doivent être totalement redéfinies en 2020 et peut-être jusqu’en 2021. Jusqu’à la fin de la crise sanitaire et la relance de l’industrie des transports.
Les technologies de live streaming et de showrooms virtuels seront déterminantes
Il est très difficile de prédire le format des défilés de mode et des salons en 2021. Il est clair que l’accès aux plateformes et technologies numériques en sera la pierre angulaire. Le concept d’un événement numérique pur en soi est controversé parmi les professionnels de l’industrie des événements comme totalement insuffisant pour remplacer les événements physiques.
C’est un combat technologique qui se joue : le live streaming, la messagerie instantanée, la digitalisation des magasins retail, le lien avec le e-commerce, etc.
L’industrie des événements Live en Italie représente à elle seule 569 000 employés
Les impacts financiers des annulations des Fashion Weeks sont énormes pour l’industrie de la mode elle-même mais aussi pour l’industrie de l’événementiel et du Live dans son ensemble. L’industrie des événements Live en Italie représente à elle seule 569 000 employés, 56,4 millions de participants, et l’hospitalité représente 40% du total des réservations de chambres d’hôtel, comme le révèle la campagne de l’industrie du Live et des événements en Italie pour sensibiliser à la sortie de crise #Italialive.
L’avenir sera-t-il fait de live streaming Fashion shows et d’événements sans public ? C’est déjà le cas pour la Shanghai Fashion Week. Organisée avec une anticipation de 2 jours sur le calendrier officiel prévu le 24 mars en pleine crise du Covid-19 ! Des marques chinoises et étrangères ont montré leurs collections sur Tmall, la plate-forme de streaming en direct et le portail de e-commerce du groupe chinois Alibaba.
Parmi les marques annoncées sur Tmall Angel Chen ou Pinko. Sans surprise, les images de cette première mondiale chinoise n’ont pas filtré.
Personne ne peut prédire l’impact qu’auront le Live streaming et la technologie des Virtual showrooms sur le succès des ventes E-commerce. Avec comme enjeu l’accès au marché chinois composé de 160 villes de plus de 1 millions d’habitants là où l’Europe n’en compte que 15.
Le crédo de la Slow Fashion Revolution : faire moins, de meilleure qualité et des créations qui durent
On rencontre aujourd’hui dans les showrooms de plus en plus de créateurs émergents, sustainable dès le lancement de leur marque, spécialisés dans le recycling ou l’upcycling
Après des mois sans shopping, nous nous réveillons avec la conscience de nos habitudes de surconsommation inutiles. Le consommateur devient un militant qui parle et qui est encouragé par la crise qui l’entoure. Cette forme d’activisme peut prendre la forme d’un nouveau manifeste des consommateurs : dépenser moins et pour plus de qualité. Nous n’en sommes qu’à l’émergence de ces nouvelles filières d’upcycling et de recycling. Elles répondent a une evolution du marché et des usages : le gaspillage n’est plus acceptable pour le consommateur.
L’upcycling des stocks invendus ou non conformes
Il existe d’immenses opportunités pour revaloriser les stocks des maisons de Luxe dans les nouvelles filières de recycling ou d’upcycling qui sont en train de s’organiser. Mais on constate que les marques de Luxe des grands groupes rechignent à écouler leurs stocks d’invendus ou de matières premières jugées non utilisables par peur de déprécier leur image de marque et de perdre en exclusivité.
Des marketplaces du recycling se mettent en place
Des marketplaces comme Adapta en France s’organisent pour racheter des stocks de cuirs dormants et les revendre en petites séries à des designers émergents. Hors les jeunes créateurs se heurtent à un accès de plus en plus difficile au capital. Avoir accès a des stocks de matières premières issus de cette nouvelle filière est une aubaine pour eux. On rencontre aujourd’hui dans les showrooms de plus en plus de créateurs émergents, sustainable dès le lancement de leur marque, spécialisés dans le recycling ou l’upcycling. Le jean et le cuir sont leurs matériaux de prédilection. Et n’oublions pas que ce sont justement deux matières, le cuir et le jean, parmi les plus polluantes du secteur mode. Pouvoir leur donner une seconde vie est une chance pour la jeune creation et un enjeu pour l’environnement.
La révolution Slow Fashion Revolution et les filières du Second hand
Un nouvel écosystème du Second hand est en train de se structurer autour des marques de mode. Le second hand est loin d’être nouveau, en France Emmaus est un acteur connu et reconnu de cette filière dans un but solidaire. Mais ce qui est nouveau c’est que cette filière intéresse aujourd’hui les acteurs du Luxe, moins concernés par definition puisqu’ils produisent en plus petites quantités. C’est une manière pour eux de répondre aux attentes des consommateurs afin de donner une seconde vie aux vêtements.
Second hand
Les enjeux financiers du second hand sont énormes : on parle d’un marché global de 33 milliards d’Euros en 2022. Les acteurs du Fast Fashion tels Zalando ou H&M avec Sellpy se sont emparés du sujet et organisés leurs propres plateformes de Second hand. Vinted, le leader français de la vente en ligne d’occasion, est ouvert à la collaboration avec d’autres marques.
Les marques de Luxe s’y intéressent très sérieusement car cela représente un potentiel de chiffre d’affaires complémentaires, et éventuellement la possibilité d’attirer les clients en magasins pour les retours avec la possibilité de générer des ventes corrélées dans le neuf par la même occasion.
Donner la voix à une communauté composée de managers et d’entrepreneurs de la Mode engagés
Cet article est le tout premier d’une série d’articles et d’interviews podcasts sur 2Goodmedia pour donner une voix à une communauté forte et mondiale de personnes engagées dans la relance de l’industrie de la Mode, le soutien aux jeunes créateurs et la construction d’un avenir plus humain, éthique et durable. Une communauté composée de managers et d’entrepreneurs de la Mode partageant leurs idées, réflexions et des actions concrètes. Ils auront la responsabilité de prendre des mesures décisives pour la relance au cours des prochains mois.
Il s’agit bien d’une période de rupture et non d’évolution que nous traversons avec le digital et les nouveaux usages qu’il permet. Et une révolution d’ampleur qui touche toutes les dimensions qu’elles soient technologiques, économiques et sociales. Pourtant nous n’avons jamais été aussi bien armés pour libérer les innovations technologiques mises en place ces vingt dernières années. Ce qu’il manque c’est de redonner du sens et une vision. La Slow Fashion revolution est-elle en marche?
Credits : 2Goodmedia agency pour l’éditorial ; Les illustrations sont de Gabriele Melodia, Images Courtesy of Gabriele Melodia
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